Au départ : la réorientation des mineurs non accompagnés…
Afin de répartir la « charge » des mineurs non accompagnés sur l’ensemble du territoire français, une cellule d’orientation a été créée au sein du Ministère de la Justice, chargée de recenser le nombre de jeunes pris en charge pour chaque département, et d’appliquer une formule « magique » totalement incompréhensible, visant à permettre d’appliquer une « clé de répartition » des mineurs isolés entre les départements de France.
Saisie par le Procureur de la République ou le Juge des enfants, la cellule d’orientation des mineurs isolés indique à l’institution judiciaire dans quel département elle peut ordonner le placement du jeune concerné, logiquement en fonction des places disponibles.
Cette orientation « géographique » des MNA devait permettre de répartir la « charge » des mineurs isolés sur l’ensemble du territoire français, afin que le coût que représente la prise en charge des jeunes ne pèse pas uniquement sur Paris, Lyon, Marseille, et les plus grandes métropoles où les jeunes arrivent plus facilement du fait de l’existence de lignes TGV…
C’était sans compter sur l’ingéniosité des conseils départementaux essayant d’échapper à leurs responsabilités…
Ensuite est née la technique de la réévaluation des mineurs non accompagnés…
Afin de contourner le système, certains département, l’Ille-et-Vilaine en tête, ont pensé et mis en oeuvre la réévaluation des mineurs non accompagnés.
Souvent fondée sur le principe de la libre administration des collectivités publiques, les départements récalcitrants ont pensé pouvoir évaluer à nouveau les mineurs orientés via la cellule ministérielle, estimant ne pas être liés par la décision du Conseil départemental ayant procédé à l’évaluation initiale.
En pratique, lorsque le jeune mineur arrive dans son département désigné par la cellule d’orientation, il est pris en charge « au rabais », souvent à l’hôtel, et doit répondre à des convocations à des entretiens.
La plupart du temps, le jeune n’est pas informé qu’il s’agit d’une nouvelle évaluation, et pense répondre à des questions qui permettront au département d’accueil de mieux l’orienter et de lui fournir une prise en charge plus adaptée à sa situation, ce qui en réalité n’est pas le cas.
Finalement, et au bénéfice d’un « doute » sur l’âge allégué, le département va finir par saisir le juge des enfants de son ressort pour demander une mainlevée de son placement.
Parfois même, le Procureur de la République du département désigné par la cellule d’orientation va attendre avant de saisir le Juge des enfants, quand bien même la loi lui impose de le saisir sous huit jours, pour permettre au département de procéder à ces entretiens, d’établir un rapport, et de solliciter un « non-lieu » à assistance éducative, comme en matière d’enquête sur infraction…
Le résultat est d’une violence incroyable : malgré une évaluation qui retient la minorité du jeune, et une première décision de placement, soit sous forme d’ordonnance de placement provisoire, soit sous forme de jugement de placement, la prise en charge s’arrête immédiatement, sans que le jeune n’ait pu accéder à un juge, et sans qu’il n’ait été informé des modalités de cette réévaluation… Rien de très loyal ni de très respectueux des grands principes : procès équitable, accès au juge, égalité des armes…
La sanction de la Cour d’appel de RENNES : l’irrecevabilité de la requête en mainlevée de placement…
La Cour d’appel de RENNES s’est prononcée sur un aspect de la technique de la réévaluation pour la condamner dans un arrêt du 28 juin 2021.
Un jeune avait été évalué mineur à PARIS, et le Juge des enfants de PARIS avait ordonné son placement en Ille-et-Vilaine car il était pris en charge par un tiers digne de confiance dans une commune de ce département.
Les jugements avaient été correctement notifiés à l’ASE d’Ille-et-Vilaine qui n’avait pas réagi…
Six mois plus tard, et au bénéfice d’un seul et unique entretien au cours duquel le jeune pensait faire connaissance avec ses référents et communiquer ses documents médicaux et scolaires, car il n’avait finalement jamais rencontré personne au Département d’Ille-et-Vilaine, il reçoit une convocation devant le Juge des enfants de RENNES.
Le Conseil Départemental lui répond que le Juge a demandé à le voir… Il n’en est rien : c’est le Département qui a sollicité la mainlevée du placement, estimant qu’après avoir répondu à quelques questions, un doute sur son âge serait apparu et qu’il ne serait finalement plus mineur…
Le Juge des enfants rejette l’ensemble des arguments sur l’irrecevabilité de cette requête en mainlevée de placement, et procède à un nouvel examen de la minorité du jeune, sur la base des éléments déjà évalués par le Juge des enfants de PARIS !…
Le placement est levé, et le jeune fait appel.
La Cour d’appel de RENNES a analysé cette situation dans un arrêt du 28 juin qui est clair : le juge des enfants de RENNES n’est pas la juridiction d’appel du juge des enfants de PARIS.
- Rappel de l’autorité de la chose jugée :
La Cour rappelle que le jugement en assistance éducative acquiert l’autorité de la chose jugée dès son prononcé, et à défaut de recours contre le jugement.
L’article 480 du Code de procédure civile s’applique donc au jugement rendu en assistance éducative, au dispositif de la décision et au seul dispositif : reconnaissance de minorité et mesure de placement.
Attention cependant, il faut que la décision rendue soit un jugement sur le fond, statuant définitivement sur la minorité et le placement. Il n’est absolument pas possible d’appliquer la même solution pour une ordonnance de placement provisoire, par nature dépendante le plus souvent d’une mesure d’instruction, telle une expertise documentaire ou médicale, et rendue avant toute décision au fond.
- Précision sur l’entorse à l’autorité de la chose jugée par le rapport ou la modification de la décision prévue à l’article 375-6 du Code civil :
La Cour d’appel apporte une précision qui semble a priori logique, mais qui est la bienvenue.
Elle rappelle la possibilité pour le juge des enfants de modifier ou rapporter sa décision à tout moment, mais elle rappelle que c’est le juge qui a rendu la décision qui a, seul, le pouvoir de la modifier ou da la rapporter.
En l’espèce, seul le juge des enfants de PARIS pouvait modifier ou rapporter sa décision, et certainement pas le juge des enfants de RENNES.
- Rappel sur la qualification des éléments nouveaux :
Le Juge des enfants de RENNES estimait qu’il existait des éléments nouveaux qui lui permettaient de remettre en cause la décision de son homologue parisien.
Notamment, il retenait les conclusions de l’expertise médicale, des incohérences dans le discours et l’analyse des documents d’état civil.
La Cour d’appel de RENNES a rappelé au Juge des enfants de RENNES qu’un élément nouveau doit « prendre naissance » après la décision rendue par le Juge des enfants de PARIS.
Pourtant, l’expertise médicale avait déjà été analysée par le Juge des enfants de PARIS, tout comme le discours du jeune, qui avait été évalué à PARIS avant son passage devant le Juge des enfants de PARIS, et les documents d’état civil avaient été soumis à expertise, avant que le Juge des enfants de PARIS ne se prononce définitivement par jugement.
Aucun élément évoqué par le Juge des enfants de RENNES n’était donc nouveau, car ils avaient tous pris naissance avant la décision du Juge parisien, et tous avaient été analysés par le Juge parisien.
Enfin, la Cour d’appel de RENNES précise précieusement que la note d’évaluation complémentaire réalisée par l’ASE de RENNES n’est pas un élément nouveau et ne peut pas constituer un élément nouveau. La Cour la qualifie d’élément de preuve constitué à lui-même, pour les besoins de la cause.
Elle relève enfin que ce document et l’entretien d’évaluation complémentaire ne respectait même pas les règles afférentes aux évaluations : pluridisciplinarité en tête !
- Décision de la Cour : le département d’Ille-et-Vilaine était irrecevable à saisir le Juge des enfants d’une demande de mainlevée de placement :
« Il en résulte que le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine était irrecevable en sa demande en mainlevée du placement, ordonné jusqu’à la majorité par le juge des enfants de PARIS. »
La Cour d’appel de RENNES déclare la requête du Département d’Ille-et-Vilaine devant le Juge des enfants de RENNES irrecevable, et infime en totalité le jugement rendu par le Juge des enfants de RENNES.
Les parties sont donc remises dans l’état antérieur : c’est la décision du Juge des enfants de PARIS qui s’applique, c’est-à-dire que le jeune est reconnu mineur, et placé chez le tiers digne de confiance jusqu’à sa majorité.
En conclusions : précisions sur la réévaluation appréciée sévèrement par la Cour d’appel
La Cour d’appel de RENNES n’a pas formellement jugée illégale la technique de la réévaluation.
Elle est cependant jugée sévèrement.
Le fait pour la Cour de retenir que la note d’évaluation complémentaire ait été rédigée pour les besoins de la cause, et constitue une preuve à elle-même, alerte très clairement sur la pratique de la réévaluation.
La Cour a précisé que rien ne justifiait la réalisation d’une évaluation complémentaire en l’absence d’élément nouveau…
Faut-il en déduire qu’à défaut d’un élément nouveau, les départements ne pourraient pas recourir à une évaluation complémentaire ? C’est fort probable.
Un document d’état civil établi avant le jugement ne constituera jamais un élément nouveau, pas plus qu’une expertise médicale réalisée avant le jugement de placement…
Obtenir une décision ordonnant une expertise médicale après jugement de placement paraît impossible également.
Il faudra donc être attentif, mais il paraît dangereux pour le jeune de communiquer un jugement supplétif qui aurait été établi après le jugement de placement, cela pourrait constituer un élément nouveau.
Cette décision constitue, en tout cas, un début de jurisprudence sur la réévaluation, qui pourrait être complétée au fil des espèces pour permettre de mettre un terme à cette pratique humainement inadmissible, juridiquement contestable, mais poursuivant un objectif politique incontestable pour les départements qui souhaitent échapper à la prise en charge des mineurs non accompagnés.